Sujet de rentrée chaud pour l'agacement répété qu'il me procure : dans la plupart des organisations qu'il m'a été donné de rencontrer ou cotoyer dans les 10 dernières années (non je n'y compte ni mes clients ni mes employeurs), je n'y ai vu qu'une gestion des ressources humaines particulièrement exécrable. Mais voilà qu'une salve de deux sondages publiés aujourd'hui dans le Figaro Entreprises et Emploi et dans Aujourd'hui me ferait douter. Petite lecture plus approfondie.
L'accroche à la une du Figaro laisserait penser que 40% des Français se disent heureux au travail (sondage Ipsos pour Accor Services), 49% sont heureux de temps en temps et 11% jamais. Flute ! On espère qu'Ipsos a su éviter le biais en ne formulant pas sa question ainsi "De manière générale, diriez-vous que vous êtes souvent heureux au travail, heureux de temps en temps ou jamais heureux ?" Ceci dit la journaliste pousse le sujet plus loin en rapportant les chiffres d'autres études universitaires, notamment celle du Centre d'étude de l'emploi, citant l'un des auteurs "Etre heureux au travail est devenu une norme, et les gens qui oseraient dire ou montrer qu'ils ne le sont pas s'exposent à des positions marginales". Les mots de "dictature du sourire" sont même lâchés par la journaliste. Passons sur les 6 conseils donnés par un collègue consultant qui suggère, sans rire et en premier dans sa liste, de se "rappeler qu'il y a une vie après le travail". L'article conclut fort justement sur la nécessité de mesurer tout cela de façon régulière et indépendante : commençons d'ailleurs par ne pas mesurer le bonheur proprement dit mais plutôt les facteurs qui y concourrent.
Le sondage du Parisien/Aujourd'hui (fait par le CSA) prend l'angle de la mobilité des salariés. 24% déclarent avoir envie de changer d'entreprise ou de structure prochainement. Et pour ceux-là, à 96% ex aequo pour l'ambiance et les conditions de travail, à 94% pour l'intérêt du travail proposé, à 93% pour le niveau de rémunération etc... Tous ces items sont d'ailleurs quasiment la copie conforme de la grille de F. Herzberg (publiée dans les années 30...) sur les facteurs de motivation et satisfaction des salariés à leur travail. Fidèle à sa ligne éditoriale, le Parisien/Aujourd'hui propose ensuite plusieurs témoignages : point commun des mobilités illustrées, le goût du nouveau challenge, dans une ambiance meilleure, avec d'autres perspectives de carrière.
Alors exécrable la gestion des ressources humaines ? Nous raconterons plus tard des anecdotes sur la gestion de carrière de jeunes managers talentueux, méritants mais débarqués un jour ou l'autre à la défaveur d'une nouvelle donne politique. Je n'ai vu que trop souvent hélas des coalitions changer d'allure, sacrifiant le héros d'hier au profit du nouveau sauveur d'aujourd'hui (lequel finira sacrifié lui aussi). J'ai vu trop souvent des décisions de séparation prises alors que tout n'avait pas été tenté pour "recadrer" le cadre en dérive ou tout simplement lui expliciter de nouvelles attentes ou une insatisfaction chronique. A chaque fois que le cours des choses a pu être inversé, les résultats ont été spectaculaires. Malheureusement la gestion des RH manque de capacité de calcul de son retour sur investissement : si tous les coûts du recrutement et du départ du sacrifié étaient additionnés, les sommes totales finiraient par attendrir le plus intraitable des dirigeants (par charité dans ce calcul ne sera pas inclu le coût du temps d'intégration du nouveau manager-sauveur).
Etudier les causes de cette sous-performance chronique serait intéressant, on en trouvera beaucoup dites "culturelles", variantes du "ça a toujours été comme ça". On en trouvera des plus concrètes du type "avez-vous vu l'épaisseur du Code du Travail ?" ou "si le coût du travail baissait significativement, on pourrait faire plus pour les RH". On aboutira invariablement à un défaut de compétences assez généralisé : on ne sait pas gérer la complexité des relations sociales, le développement des compétences des ressources humaines et les processus d'évaluation de performance... Et nous voyons régulièrement des choses inouïes : une entreprise de taille mondiale, dans l'industrie, employant plus de 15 000 personnes n'a pas songé à centraliser sa fonction RH. Et pourtant elle tourne tous les jours ! Ceci n'est qu'un exemple et j'aurais pu citer une PME à forte croissance dans l'agro-alimentaire, une PME du tourisme en pleine expansion ou un éditeur de logiciel, leader mondial de sa catégorie.
On est encore loin d'avoir, comme le préconise Jack Welch dans son "Winning" qui consacre un ouvrage entier au "People Management" (mais les sujets RH transpirent dans tout son livre), "un DRH qui soit la deuxième personne la plus importante dans une organisation". Après tout, voilà un objectif simple pour les DRH : comment faire pour devenir la deuxième personne la plus importante dans ma boite ? Et si je n'y arrive pas, je bouge ?
Commentaires