Technocentre Renault de Guyancourt : la suite. La semaine dernière, Carlos Ghosn a réuni 2000 ingénieurs et cadres. Il a demandé des idées, des plans d'actions, des mesures concrètes après les 3 suicides parmi le personnel du Technocentre. Il aura donc fallu une petite quinzaine de jours entre le dernier cadre décédé et une réaction officielle du naguère manager de l'année. Pour quelqu'un qui s'obsède très certainement de la vitesse d'exécution et la rapidité ou de l'agilité nécessaire de son entreprise, c'est lent, très très lent. Et surtout, la réponse, pour ce qu'elle nous en est donnée, est faible, très faible.
C'en est même surprenant, une réponse aussi maladroite. Certes, à l'heure présente, nous ne savons pas si cette réunion était prévue de longue date (la rituelle grand messe où l'on vient se faire brainwasher à grands coups de messages corporate) ou si elle a été provoquée pour "répondre à la situation". Et nous ne savons pas non plus, ce qui a été dit par Carlos Ghosn, voire d'autres dirigeants de Renault. (mais promis dès que nous en saurons plus, nous vous en ferons part). Malgré ces inconnues (qui ne changeront que peu notre propos) prenons un peu de recul : une entreprise toute entière sous une pression d'objectifs ambitieux, jamais vécue jusqu'alors, dans laquelle la prise de parole est devenue impossible, en dehors du canal syndical bien codifié, et dans l'unité chargée d'une des dimensions les plus ambitieuses (26 nouveaux modèles de voiture en 3 ans), la seule issue pour 3 d'entre de ses membres, puisque la parole ne sert plus à rien, que la vie n'est que souffrance est la mort. Et justement que demande le grand patron ? "Parlez-moi, dites-moi quoi faire". Nul ne sera étonné que de l'avis d'un participant, "tout ce qui a été dit ne sert à rien et rien ne changera de toute façon". Ne serait-on pas là devant un cas de double contrainte, de "double bind" dont les psychiatres ont démontré depuis longtemps que l'issue n'était que fatale : folie ou mort.
Alors allons-y de quelques recommandations pour décider des choses à faire et se donner une chance, minime, de réussir à changer ce qui doit l'être. Carlos Ghosn est probablement un homme intelligent. Je lui recommande la lecture de cette courte note sur F. Herzberg, théoricien de la motivation : c'est lui le premier qui fait la différence entre les facteurs d'hygiène (job, salaire, relations avec collègues et supérieur hiérarchique etc) et ceux de motivation (réussite, reconnaissance, identité professionnelle, promotion & avancement, responsabilité) d'un individu au travail. Ca date de 1959 et n'a pas pris une ride. A lui de se promener avec cette grille de lecture pour vérifier que le manque d'un facteur d'hygiène crée de l'insatisfaction et les facteurs de motivation de la satisfaction personnelle.
Il pourra tout aussi bien relire (oui je suis sûr qu'il l'a lu) l'excellent "Winning" de Jack Welch, notamment la première partie "Underneath it all" et le chapitre sur la franchise "the biggest dirty little secret in business" comme Welch le résume lui-même. Le même concluait dans un autre très bon ouvrage ("Control your destiny" co-écrit par Noel Tichy, référence mondiale dans le changement de cultures d'entreprise) qu'il aurait dû commencer son gigantesque programme de changement de General Electric par la mise en pratiques de nouvelles valeurs de fonctionnement, dont la franchise au premier plan.
Franchement Monsieur Ghosn, vous méritez mieux. Et tout aussi franchement, le changement que cette situation vous oblige à réussir ne se gagne pas en un trimestre de résultats boursiers. Cela ira même au-delà du contrat 2009. Je ne vous souhaite pas de nouveaux suicides mais le risque me semble réel.
PS : j'ai beaucoup aimé le film "la vie des autres". Merveilleux film où le suicide d'un ami fait sortir de sa neutre vie un auteur en Allemagne de l'Est, quelques années avant 1989.
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