Renault réagit. Après les suicides de Guyancourt puis la réunion du 1er mars, l'engagement de Carlos Ghosn est tenu. La direction de la communication a organisé l'annonce des décisions prises, d'abord pour ses forces internes, ensuite pour la presse. Cette fois-ci largement reprise (radio, télé, presse écrite) : comme par hasard, plus de couverture média pour la "bonne" nouvelle que pour le coup de sifflet des syndicalistes de Guyancourt. Pudeur ou diplomatie publicitaire, nous ne saurons évidemment jamais. Le contenu des décisions ?
Que ce soit le Communiqué de Presse à la une du site corporate de Renault ou les images de la conférence de presse d'hier, on reste dans la froide rigueur bureaucratique déshumanisée. On est loin des applaudissements reçus par Georges Ghosn lors de la réunion du 1er mars alors qu'il disait "un cadre de Renault peut échouer, Renault ne le peut pas". En bref, le contenu des mesures : un patron à temps plein pour le Technocentre, des réunions d'équipe hebdomadaires ressuscitées, la création d'une "journée de l'équipe", recrutement de 110 "spécialistes de l'automobile", intensification de la formation... La lecture en creux de tout cela fait froid dans le dos. Comment tous ces éléments basiques de la gestion du capital humain avaient-ils pû être oubliés ?
Alors qu'une entreprise n'est qu'un tissu d'émotions, rien n'en fait état ni dans les mesures annoncées, ni dans la posture des dirigeants, ni dans le format de la communication. Dommage, on aurait pu y croire. On ne peut plus que croiser les doigts dorénavant pour que les salariés de Renault retrouve de l'air.
Ces trois suicides ont de toute façon provoqué des traumatismes graves, surtout ceux qui sont restés silencieux, parmi ceux qui portent en eux un sentiment de culpabilité d'une manière ou d'une autre. Ceux-là ne pourront être traités qu'avec une parole libre. L'énergie humaine est capable de réussites d'une ampleur inattendue quand elle peut s'exprimer.
Je partage votre point de vue (et celui des précédents billets sur le sujet). Je connais des cadres de Renault (et d'autres grosses entreprises où un mal être similaire existe...mais avec un patron moins médiatique donc moins sous les projecteurs). Lorsque les objectifs imposés sont intenables, la motivation et l'engagement personnel (surtout quand il est fort au départ) se métamorphosent en sentiments d'impuissance , de perte de sens, puis de découragement et de dévalorisation...Que faire?
Personnellement j'aurais tendance à me méfier des actions de "gestion du stress" mises en place au coeur même des entreprises. Il peut y avoir des dérives , un repérage des éléments les plus fragiles . Ce peut être,une fois de plus, une manière de reporter sur les individus la responsabilité des dysfonctionnements de l'organisation, en leur faisant croire que c'est dans leur intérêt !
Avez vous déjà rencontré ce type de problème dans le cadre de votre activité ?
Mon domaine professionnel de base est le contrôle de gestion , le pilotage de la performance donc... Et j'avoue que je m'interroge aujourd'hui : comment concrètement concilier les objectifs légitimes de performance de l'entreprise, avec la politique des ressources humaines et le management opérationnel au quotidien ?
Rédigé par : Marie-Hélène | 18 mars 2007 à 21:09
Que faire ? Je retiens votre première question. Je ne vois aucun remède miracle, aucun "quick-fix" dans le domaine des compétences et des ressources humaines. Tout est affaire de temps, plusieurs années pour faire se rencontrer les bénéfices des entreprises et l'intérêt des Hommes. Ce sont à chaque fois d'énormes chantiers qui vont questionner les comportements, les valeurs, les outils de mesure de la performance pour à la fin créer la valeur économique et financière qui sera reconnue par le marché et les clients. Ma première piste de réflexion sera donc de chercher à harmoniser les outils de mesure de la performance avec les indicateurs du bonheur des Hommes.
bien à vous,
Rédigé par : laufenburger | 18 mars 2007 à 22:15
Il faut toujours prendre avec des pincettes les suicides en entreprise, de même que le suicide en général, d’ailleurs. Il déclenche en nous un tel déluge émotionnel que nous avons tendance à le sur-interpréter et à l’instrumentaliser pour le mettre au service de notre vision ou de notre fantasme de l’organisation et des rapports sociaux. Le suicide est un geste profondément personnel, intime, que l’on porte au cœur de son histoire. Par contre, là où je te suis dans ton analyse est de se demander dans quelle mesure et comment cette éruption émotionnelle fait système avec les messages carrés aux mâchoires d’acier nés du frottement entre la technocratie libérale postmoderne incarnée par Carlos –dont l’élocution même évoque le métal- et les glissières de sécurité de la chaîne opérationnelle dont chacun des maillons préserve jalousement les boulons de son fauteuil, dirigeants intermédiaires dont l’inertie et la langue de bois n’ont rien à envier à ceux des organisations syndicales, bien présentes et intéressées elles aussi à ce que rien ne bouge. Cette immobilité passe par le déni du sens que peuvent avoir ces suicides, qui va avec le déni d’une parole vraie et profuse, parole qui signifierait que l’humain est un partenaire possible de la création de sens, indépendamment des rituels où toute parole est enfermée pour garantir sa pasteurisation. Dès lors, l’organisation qui fait ces choix opère un suicide lent, et c’est peut-être là que l’on peut voir un effet miroir, un suicide tellement lent que les acteurs, les armes et les balles ont l’air immobiles dans un temps étiré et raréfié, un suicide tellement lent qu’au moment où la balle atteindra la tempe, tous les acteurs d’aujourd’hui seront depuis belle lurette à la retraite. De là vient à mon avis ce consensus implicite sur le fait de repeindre l’ascenseur.
Rédigé par : Pierre Blanc-Sahnoun | 19 mars 2007 à 10:31