Grève mercredi 14 novembre : nous éprouverons sans fausse honte le doux sentiment d'être privilégié. Nul besoin de nous précipiter sur la route, nul impératif d'être à la capitale. Nous aurons une pensée pour les marcheurs, cyclistes et autres pénitents du travail salarié relevant du droit privé et non du privilège des régimes spéciaux. Des fois que vous n'auriez pas remarqué depuis au moins une semaine, demain c'est grève totale. Le mois de novembre sera mauvais. Attachées ou pas, les ceintures ministérielles ne suffiront pas. Des bretelles seront nécessaires. Voire des parapluies, tout dépend de l'après. La grève continuera-t-elle ? Remake de 1995 ? Voire de 1968 avec les étudiants en ébullition ? Avec un baril à 100 bucks, mangera-t-on du thon à Noël ? Ou de la dinde ? De toute façon, on ne pouvait pas l'éviter la grève demain, non ? Si.
Je pense que peu de monde en a grand chose à faire des régimes spéciaux. Disons que le truc en question sert à mesurer un rapport de force entre un Président tout neuf et un système social dans lequel des syndicats sont forts sur un nombre -petit, certes- mais décisif de secteurs d'activités économiques. La nomination de Raymond Soubie en tant que conseiller du Président à l'Elysée m'avait fait espéré -comme d'autres j'en suis sûr- que l'implacable logique des systèmes pourraît être contredite cette fois-ci. Monsieur Soubie nous avait tellement ravis, nous petits Sorbonnards, de son analyse des mistigris étatiques -et ce sur plusieurs décennies-. Parce que, quand même, c'est la première fois qu'un gouvernement décide de prendre "le taureau par les cornes" et "d'engager les réformes dont le pays a besoin" ? Bien sûr que non. Avec quels résultats ? Si faibles, si tardifs surtout, qu'entre temps le mal s'est agravé et que le gouvernement a changé. Le temps passe , les ministres aussi, les syndicats et leurs chefs beaucoup moins vite, ils n'oublient rien tandis que l'opinion publique n'enregistre rien. Dès lors, ne sommes-nous pas ridicules de nous étonner qu'une "négociation" passe systématiquement par l'épreuve dite "de force" et la "paralysie" de la France qui travaille ? Et au fait que savons-nous du détail de la négociation en cours ? La fumée médiatique nous empêche bel et bien de voir le coeur du brasier. Toujours est-il qu'il est certainement très complexe et donc parfaitement sujet à de longues négociations.
Puisque l'opinion publique est paraît-il favorable au pourquoi de cette volonté gouvernementale, c'est donc bien la méthode du même gouvernement qui devient le facteur déterminant du résultat à atteindre. Quel aveuglement imbécile que de croire que "cette fois-ci, ça va marcher" ! L'alternative n'est pas dans la manip' participative fumeuse qui, elle aussi, ne trompe (plus) personne. Elle passe probablement par un cap infranchissable pour l'appareil étatique : accepter de reconnaître le pouvoir de l'adversaire pour changer son regard sur lui. Que dit d'autre Sun Tsé dans son Art de la Guerre "ne livrez bataille que si vous êtes sûr de la victoire". Une opinion publique se retourne si vite, chacun trouvant ses limites d'adhésion au collectif national dans son inconfort quotidien. Le vainqueur final est rarement le même à long terme.
Sun-Tzu dit aussi que "la plus belle victoire, c'est quand l'ennemi ne s'est même pas rendu compte qu'il y avait eu une bataille". On polarise notre attention sur le conflit social, bien lisible, fortement alimenté par les provocations Karchéromorphes du Président. la vraie bataille se déroule ailleurs, dans la dissolution des solidarités, l'entretien de la peur, la perte de repères autres que la performance.
Rédigé par : Pierre Blanc-Sahnoun | 14 novembre 2007 à 14:36